L’étoile s’éteint beaucoup trop vite à mon goût, je voudrais la voir briller pour une éternité. Pourquoi tout est si éphémère dans ce monde enchanté ? N’est-il pas censé être différent que le monde réel, mon monde peuplé de fées ? Alors je danse sans m’arrêter, continue encore un peu de rêver, et imagine que Timmy me regarde. J’ai besoin d’oublier que Sadie était beaucoup plus difficile à consoler, hier. J’ai besoin de ne pas penser à sa détresse qui me fend le cœur tant elle s’allie à la mienne, cachée.

Alors je suis allée dans notre endroit préféré, à lui, à Jimmy, à Garry et à moi. Celui ou nous aimions aller lorsque l’on était tous les quatre et que nous voulions quitter le quartier. Nous aurions pu aller chez Jimmy, mais nous avions notre endroit, neutre et merveilleux. Ca dépendait où l’on allait, et l’on pouvait imaginer être dans un petit bois magique. Quatre arbres et un buisson suffisent pour que je crée une forêt mystique, dans ma tête. C’est ici que je préfère invoquer son souvenir, plus que n’importe où ailleurs. Mon plus beau rêve enchanté est en train de danser avec moi, pour son plaisir à lui. Il aurait aimé ces couleurs, sur ce vert sombre, cette lumière sur cette ombre. Jimmy et Garry aussi. Je vois les trois hommes de ma vie, émerveillés par ce feu d’artifice de couleur. Et les voix enchanteresses d’un chœur de nymphes qui me captivent de leur douceur charmantes se font entendre. Une mélodie du bonheur qui m’emporte un peu plus. Je suis dans un autre monde, et je ris, je ris, de me savoir ainsi ailleurs. Plus près de lui que je ne le serais jamais.

Une aurore boréale illumine cet autre monde alors que ma danse se fait plus rapide, plus ensorcelante. Je ne mesure plus mes pas, seule la musique qu’ils ont eux-mêmes créée me guide. Je ne pense à rien, car je ne suis plus là, plus ailleurs. Je suis les lumières qui m’entourent, je suis la mélodie qui m’emporte. Je suis cet autre monde, et plus rien n’existe à part ça. Je ne suis plus seule car je suis partout autour de moi. Je sens ma propre chaleur qui m’entoure, et j’imagine la leur. Timmy, Jimmy, Garry. Vous trois pour la vie. J’entends mon rire qui s’allie aux voix qui chantent encore. Puis soudain, je m’arrête de danser. D’un coup. Et je me laisse tomber, assise par terre, à rire en imaginant qu’ils rient avec moi. Je me rappelle si bien de leur rire, que mon cœur aimerait pouvoir les recréer, afin de les entendre pour de vrai.

Je m’allonge, laissant mes lumières et mes chants se taire doucement, petit à petit. Je les regarde en riant toujours, heureuse que ce monde existe. Je n’arrive pas à reprendre ma respiration, je m’étouffe d’un plaisir divin car je sais qu’il ne me fera aucun mal. C’est la vie qui m’étrangle par sa beauté. Et je ne lui en voudrais jamais pour ça. Je lui en veux juste de faire mourir mes illusions. Alors je ferme les yeux, car je ne veux pas voir l’éphémère disparaitre. Timmy et Jimmy vont repartir, et Garry n’est pas là.

Je ne veux pas garder les yeux ouvert pour voir que je suis seule.

Aujourd'hui mes pas ne répondent plus de rien, et mènent la danse. Je suis un chemin que je connais aussi surement que je ne suis pas celui qui me pousse à l'empreinte. C'est Timmy, qui donne le tempo, qui nous conduit vers ce havre de paix teintés de nos plus beaux rires d'antan.
La mélancolie est-elle pour aujourd'hui ?

Je me demande s'il existe encore, notre Paradis. Nous n'avions besoin de rien, pour nous sentir bien, à cette époque là. Rien d'autre qu'être ensemble. Elle, lui et nous. C'était ainsi, comme écrit dans le marbre. Garry illuminait nos jours de ses conneries, tandis ce que Callie l'enchantait de ses danses.
Cet endroit était magique, parce que notre. Et, aujourd'hui, je ne suis pas certain de vouloir le regarder à nouveau, pour n'y trouver que les cendres d'un bonheur que j'ai moi-même su brisé, sans même le chercher.

Je m'arrête, tente de respirer pour oublier les courbatures de mes jambes qui semblent me hurler de continuer à avancer. Non Timmy, la vie ne se trouve pas par ici.

Il n'y a rien par là bas, si ce n'est le souvenir d'une époque révolue et enterrée, brisée et fauchée. Il n'y aura plus jamais rien, parce que nous n'y seront plus jamais réunis.
Mes jambes brûlent, se consument d'une volonté qui leur est propre et qui brise la mienne sans que je ne parvienne à lutter.
Ok Tim, on avance. J'irai où tu voudras. Allons éprouver ce monde, toi et moi.

Tu crois qu'un peu de nous est resté accroché là-bas ? Des étoiles, des mèches roses, des éclats de rire. Du soleil, des murmures même, peut-être.
Mes jambes cessent toute action, et je me sais arrivé à destination. La misère du lieu fend mon âme tant il semble briser le paradis qu'on s'y était forgé autrefois. Je touche l'arbre le plus propre faute de pouvoir m'en rappeler. Il était plus grand, plus beau, autrefois. Il était enchanté. Il n'y a plus rien pour moi, ici, tu vois ?
Ni Garry, ni Callie, ni même toi. Plus rien ne m'attend là.

Mon cœur s'emballe, flanche tant il semble vouloir quitter mon corps pour aller épouser l'ange allongée devant moi. Calliopée.
Je souffle un « Callie... » qui démange ma langue tant je n'en reviens pas. Souveraine d'un lieu sacré qui semble renaitre et briller de nouveau par sa seule présence, je pris pour que ses yeux restent fermés, encore un instant. Qu'elle continue à me faire rêver, à me faire croire que ce lieu existe encore, ailleurs que dans mes pensées. Qu'elle me laisse croise qu'elle ne m'en voudra pas, que je n'ai pas briser son cœur aussi durement que celui de tout les autres.

Tu te souviens Tim, de ses pas passionnées ? De la magie qui débordait de son âme, lorsqu'une nouvelle danse commençait ? Te souviens-tu, combien nous l'aimions, combien nous l'avons toujours aimé ? Cette certitude absolue que nous serions toujours réunis ?
Garry, Callie, Timmy, Jimmy. Nous aurions pu le graver sur chaque pierre de chaque monument, tant nous y croyions.

N'ouvre pas les yeux princesse, où je serai tenté de te demander de danser, pour panser ce monde que j'ai fais saigné.
Pardonne-moi de te l'avoir, à toi aussi, arraché.

J’ai peur de me sentir vide si j’ouvre les yeux, devant la disparition de mon monde merveilleux. Plus de lumières enchanteresses pour illuminer et colorer cette vie dans laquelle Timmy et Jimmy riment avec « partis ». Si j’y crois encore assez fort, ils reviendront. Et tout sera comme avant. Nous reformeront à nous quatre ce tout qui manque à ma vie. Je me demanderais toujours ce que j’aurais fait sans Garry. Et si je n’avais pas eu pour mission de sauver Sadie ? Si plus rien ne me raccrochait à cette réalité, de temps en temps, aurais-je fini par me perdre dans mes illusions, plus que de raison et pour de bon ? Je vis tellement pour les retrouver, que j’ai peur de les rater le jour où ils reviendront.

Je sais que Jimmy est sorti de prison. Sadie me l’a dit. Il est venu la voir. Et une part de moi lui en veut de ne pas être passé par chez moi, juste pour savoir si j’étais toujours là. Juste pour me faire penser qu’il ne m’a pas oubliée. Vous savez, j’aurais voulu qu’il pense à ce qu’il m’avait fait. Qu’il se demande à quel point ça m’avait touchée. Si je suis allée de l’avant. Ou si je les attends. Si je suis enfermée dans le passé, dans mes mensonges éhontés, qui sont devenus mes réalités. Est-ce que j’ai supporté de rester dans la maison d’à côté ? Est-ce que j’ai tout plaqué ? Jimmy, dis-moi que toutes ces questions t’ont au moins ne serait-ce qu’un peu traversées. Je ne veux pas être égoïste ou égocentrique. Mais dis-moi que, quelque part, une de mes lumières t’a traversé, pour ne pas que tu m’oublies. Tu étais mon meilleur ami, à moi aussi.

Le murmure est si faible, qu’au début, j’ai cru que des vestiges de ma danse m’avaient renvoyé la voix de Timmy. Et peut-être me l’ont-t-elles ramené. Mon cœur s’est mis à battre plus vite à cette idée, et la peur brûlante que ce n’est pas vrai maintient mes yeux encore fermés. J’ai tellement peur de l’avoir rêvé. Tellement peur qu’il ne m’ait pas appelée et que je sois encore seule.

Je décide alors de prendre mon courage à deux mains, en les ramenant à mon cœur pour le calmer et ouvre les yeux tout doucement, en espérant ne pas avoir rêvé. Mais réfléchis, Callie… Pourquoi Timmy murmurerait ? Il aimait parler fort, pour qu’on entende le sourire dans sa voix. Son rire amplifiait la douceur de son ton. Tu t’en rappelles, comme cette mélodie était belle, il ne t’en aurait pas privé en chantant ton nom.

Je me redresse et regarde autour de moi. Pour être honnête, je ne m’attendais pas à voir effectivement quelqu’un. Je l’espérais, mais depuis des mois, le monde réel n’a jamais réalisé les rêves et les vœux que faisais. J’étais aveugle de la réalité, et elle était sourde à mes volontés. On ne s’est jamais appréciées, elle et moi, de toute façon. J’ai toujours imaginé d’autres aventures, des contres de fées, fidèles à mes attentes, créateurs de mes projets. Rien n’a jamais été réel, dans ma tête, car je vis pour rêver. « C’est dans ses rêves que l’homme trouve la Liberté ». Merci John Keating, ta sagesse m’a sauvée. Et toujours est-il que je n’ai jamais cherché de Liberté palpable. Mon monde est immatériel. Des fantômes pastel.

Je regarde la personne dont je ne distinguais au début que la forme. Une silhouette que je connais, sans l'identifier, comme une réminiscence. Un rêve effacé. Ce n’est pas Timmy. Il avait les cheveux plus courts. Il était plus grand, aussi. Non ce n’est pas Timmy, c’est son autre lui. Mince alors… C’est Jimmy ? Pour de vrai, pour de vrai, c’est Jimmy. Et c’est l’euphorie d’une illusion devenue réalité qui me fait bondir sur mes pieds pour courir lui sauter dans les bras… Avant de me rappeler. C’est de sa faute, s’il m’a manqué, et si Timmy me manquera à jamais. C’est de sa faute si j’ai tellement pleuré. Jimmy, je suis désolée, mais je ne veux pas t’embrasser. Vraiment, j’aurais aimé, ne pas te blâmer. L’alcool fait faire des bêtises à tout le monde… Oui, mais nous te l’avions confié. Si je ne l’ai pas empêché, c’est parce que je me fiais à ton bon sens, à ton amour pour lui, qui dépassait peut-être même le mien. Et je sais que ton cœur saigne de nous l’avoir enlevé, je te connais. Mais je suis désolée. C’est dans un pincement au cœur que ma course s’arrête net, à un mètre de lui. Le sourire qui venait de naitre a disparu, et ma gorge se serre de ne pas pouvoir lui dire qu’il m’a manquée. J’en pleurerais presque, de ne pas pouvoir faire en sorte que les choses redeviennent comme avant. S’il avait été là, je t’aurais sauté au cou pour de vrai, après une aussi longue absence. Même quand vous nous attendiez en bas, chaque soir, vous me manquiez.

Je ne sais pas quoi lui dire. Le voir sans lui me détruit et je me sens vide, à l’exception d’une petite danseuse dans un coin de mon cœur qui lui est entièrement dédié qui bondit de l’avoir retrouvé.

Je me borne à lui balancer une banalité, à laquelle je ne crois qu'à moitié, pour ne pas parler de ce qui pourrait nous fâcher. Je ne veux pas être désenchantée.

Bien sûr qu'il a changé. Il lui manque la partie de lui qu'il nous a enlevé.

Mon ventre gueule un n'importe quoi à ma bouche pour la punir de l'avoir ouvert. J'ai l'impression d'avoir, une fois encore, tout bousillé. Mon murmure flotte dans l'air et je crains que son prénom ne vienne la percuter, la tirer d'un songe qui ne rendra que plus amer la réalité. Mais ses yeux s'ouvrent et électrise le peu de moi qui ne l'était encore pas à la simple vision de son visage paisible, et là, quelque part, juste après le chaos, je me sens renaitre.

Ses yeux encore dansant d'une illusion mourante semblent chercher un point d'ancrage, pour amorcer un retour à la réalité. Et c'est sûr moi que son regard se porte. Je m'enflamme, des veines au cœur, parce que putain ! elle est si belle que je pourrais en crever.
Elle n'a pas changé notre princesse Tim, tu vois ? Elle reste aussi belle qu'elle l'était, lorsqu'on l'a laissé.

Et déjà, elle et court vers moi pour... pour rien, en fait. Elle court, pour mieux s'arrêter, et mes battements perdus marquent la chute de son épopée en signant un arrêt digne de sa beauté. Il peine à repartir, accroché à un regard où flirte tant de sentiments que je me sens flancher.
Allez Tim, dis-moi que je ne l'ai pas brisé, elle comme le reste de l'humanité, lorsque je t'ai arraché à elle. Timmy, c'est maintenant, que je mérite d'être damné. Personne ne peut faire souffrir une princesse sans finir condamné au bucher.

-Tu n’as pas changé.

Je mords ma lèvre, faute de savoir répondre à une phrase comme celle-ci, à un mensonge comme celui-là.
Si, j'ai changé. D'un changement aussi infime qu'infini, parce que définitif, permanent. J'ai changé, parce que même si l'âme de Timmy vivra toujours en moi, son ombre n'est plus là, pour se perdre dans la mienne. J'ai changé, parce qu'à jamais, le sang de mon meilleur pote maculera mes mains.

Mes genoux flanchent de nouveau, comme pour me rappeler que ma place n'est pas debout, mais brisé à leur pieds. Qu'il en sera toujours ainsi. Toujours, jusqu'au pardon.
Et dans un tremblement, mes genoux épousent le sol et mes yeux se perdent dans les siens, alors que j'agonise lentement à l'idée de lui avoir, à elle aussi, arraché le cœur.
Jamais ton sourire n'avait fané, avant moi. Pardonne-moi.

- Je suis désolé.

Si désolé que l'injustice du monde est choisi mes mains pour faucher, pour piller, pour saccager. Si désolé de t'aimer et de parvenir malgré tout à te faire saigner. Si désolé, d'être le meurtrier de ton cœur.

Tu te souviens Tim ? Un jour, nous nous étions promis de la protéger contre vents et marées. Nous nous l'étions promis, parce que nous l'aimions. Pendu au moindre de ses soupires, elle faisait de notre quotidien un ballet saisissant de perfection, tout peint à son image.
Personne n'a jamais été aimé plus qu'elle ne l'a été. Plus qu'elle ne le sera jamais.
Nos cœurs étaient à elle, le sien était à toi. J'ai fauché son cœur avec ta vie, tu crois ?

Prends mon cœur Callie, il est à toi.

Non, il n’est plus le même. Vraiment plus le même. Il a l’air plus adulte, maintenant, comme s’il avait grandi plus vite. Le regard plus sérieux. Les étincelles dans ses yeux sont parties en même temps que Timmy, et ça me fait de la peine. Parce que je n’ai pas cessé de l’aimer, mon deuxième frère, et je l’aime assez pour vouloir calmer sa souffrance. J’aimerais tant lui offrir une danse, afin que lui aussi retrouve Timmy, l’espace de quelques minutes. Mais je ne peux pas. Je suis paralysée sur mes deux pieds plantés dans un sol qui m’avale en lui. Profond comme le fossé qui nous sépare. La boule dans ma gorge m’étouffe, je me sens enfermée. Et pourtant, à la douleur s’allie son antithèse, et c’est très étrange comme sensation. L’impression de ne pas bien savoir si c’est le bonheur de le revoir qui amène la douleur des souvenirs, ou le contraire. Vous voyez ? Non ? Moi non plus, en fait. Je suis perdue dans le choc de deux émotions contraire. Rendez-moi mes jambes, je dois danser !

Je le détaille car je ne veux rien rater. Et s’il avait un accent irlandais ? Non, Garry ne m’aurait jamais, jamais fait ça… Pas vrai ? Il sait ce que lui aurait coûté ce genre de blagues, même si je ne peux pas imaginer qu’il n’eut pas fait ça pour m’aider. Non, il n’aurait jamais osé. Je sais que c’est réellement Jimmy que j’ai en face de moi, et pourtant, je continue à l’observer, le scruter. Je remarque tout ce que je déteste tellement ça m’a manqué, tout ce que je n’avouerai jamais avoir aimé. Jimmy sans Timmy, c’est douloureux, tellement c’est anormal. Nous ne sommes pas dans la bonne dimension, il me faut ma dose d’illusions. L’absence de Timmy n’a jamais été aussi réelle qu’alors que Jimmy se trouve en face de moi.

Et soudain, je reçois un coup dans le ventre. Un éclair ne m’aurait pas frappée aussi fort que ses genoux qui heurtent le sol. Non, non, non. Jimmy, non, ne fais pas ça, pitié. Je t’en supplie arrête de rendre tout cela aussi réel, laisse-moi oublier qu’il est mort et que tu conduisais. Ne me submerges pas de ta culpabilité et enfouie ta douleur, je ne veux pas y faire face, pas plus que je n’ai pu faire face à la mienne. J’aimerais qu’il sache danser pour oublier, qu’il illusionne ce monde au lieu de nous ancrer dans cette réalité. Bordel, Jimmy, fais-moi oublier que tu l’as tué, au lieu de me balancer ta faute en pleine face. Il n’est pas mort, arrête ton cinéma.

- Je suis désolé.

C’est trois mots achèvent ma retenue et je sens mes larmes couler sur mon visage. Sa douleur me prend aux tripes tellement elle me renvoie à la mienne et je lui en veux pour me ramener à ça autant que je m’en veux d’avoir pitié pour lui. Je ne veux pas le voir à genoux, je ne veux pas qu’il me blesse encore et je ne veux pas qu’il me force à le laisser se faire du mal. Je ne peux pas supporter de le voir souffrir et je ne peux pas le sauver. Timmy n’est plus là. Timmy n’est plus là, et c’est pour ça qu’il est à genoux devant moi, qui suis en train de pleurer. C’est le pire scénario jamais inventé et mes larmes accusent le sadique qui nous l’a imposé. C’est horrible, ce qui nous arrive dans ce parc qui recélaient tellement de souvenirs merveilleux.

- Ne fais pas ça, je t’en prie.

Alors que je me croyais incapable de bouger, je me rends compte que mes pas m’amènent près de lui. Je ne peux pas le laisser nous faire ça, à tous les trois. Jimmy, aucun de nous trois ne mérite ce que tu nous infliges. Je prends donc sa main avec douceur, et le toucher fait redoubler mes larmes. Il est réel, ce que ça peut faire mal. Je le tire vers le haut.

- Lève-toi, s’il te plait. Ne t’excuse pas à moi.

Ce qui me tue dans cette histoire, c’est que je sais que je ne suis même pas celle qui souffre le plus.

Mes yeux dansent sur les ombres de nos souvenirs, de peur de croiser son regard que je ne saurais soutenir. Saccagé, tout un avenir fauché valse devant mon regard épuisé d'avoir déjà trop tremblé face aux ravages que j'ai su causé.
J'ai écorché les femmes de ta vie, Timmy. Estropié ces femmes dont la lumière faisait vibrer tes nuits et aujourd'hui, je ne peux que me rependre en excuse devant celles à qui j'ai tout pris.
On fera renaitre leurs sourires, hein, Tim ? De la beauté de leurs rires, nous repeindrons un monde nouveau, où la pluie cessera de me coller à la peau. On y dansera, dans ce monde, là, tu verras.
C'est une promesse, de mon cœur à toi.

« Ne fais pas ça, je t’en prie. »

Poignardé en plein cœur, l'écho de ses larmes dans le miel de sa voix m'arrache un frisson. Mes yeux trouvent les siens qui abiment ma volonté et mes espoirs éreintes. Sorti du néant, une voix à la couleur de ton timbre chante à mon âme que ses larmes ne doivent pas couler, parce que sacrées.

Dans une perfection infinie, elle achève la distance qui nous sépare, abimant mon cœur de quelques battements volés par sa beauté. Larmoyante, parce touchée, elle me paraît si belle que je pourrais en crever. Des flashs de couleurs, tous auréolés de sa beauté, me percutent de plein fouet, tandis que sa main trouve la mienne.

« Lève-toi, s’il te plait. Ne t’excuse pas à moi. »

La scène est d'un pathétique qui m'écœure tant il vient de moi. Je fais pleurer un ange sur l'autel de nos souvenirs les plus chers, et bafouent nos mémoires de mes souvenirs teintés du sang de mon frère. Me refusant de voir le souvenir de ses larmes un jour supplanter celui de son rire, j'amorce une apogée qui me voit la surplomber. Mes mains trouvent ses joues et, effrénés, mes doigts s'abreuvent de sa peine, qui coule en perles sur son visage.

« Ne pleures pas... »

Je tente l'esquisse d'un sourire qui m'abime et se meurt avant d'avoir su fleurir. C'était elle, qui faisait renaitre nos sourires autrefois, même lorsque, fatigués, ils semblaient nous fuir. C'était elle, la magicienne de notre univers, qui dépeignait de ses arc-en-ciels nos espoirs de gosses, nos rêves de grands.

Tu te souviens, Tim ? De nos insomnies d'aquarelles, nos masques trop grands pour nos visages d'enfants. De son sourire devenus nos jours, nos nuits, nos mois et nos saisons. Du premier « Je t'aime » que tu lui aies prononcé, écho du mien, pensé. De la beauté des lucioles qui éclairaient les sentiers sur lesquels nous aimions nous aventurer...
Dis-moi que nos souvenirs ne seront jamais entachés de savoir que ta voix ne pourra plus jamais nous les conter.

« Pardonne-moi Callie, pardonne-moi... »

Je sens quelque chose qui se libère, en moi, comme si je retenais un flot d'émotions insoupçonné qui se déversait à présent au moyen de mes larmes. C'est comme un tsunami qui emporte tout. Jimmy a ouvert un barrage en moi, et je m'effondrerais sûrement si je n'avais pas ma main dans la sienne et la chaleur de sa présence. Comme une épée à double tranchant, ses yeux sont ma tempête et son regard, mon abri. Si seulement il pouvait arrêter d'exhiber sa culpabilité, s'il pouvait juste faire semblant, peut-être alors réussirai-je à retrouver mon cocon baigné dans l'illusion que Timmy allait arriver, juste après lui. Je veux juste que l'on me laisse l'attendre, le retrouver et danser. L'on m'a rendu Jimmy, pourquoi pas Timmy, hein ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Mes larmes redoublent et j’ai l’impression désespérante qu’elles ne se tariront plus jamais. Ca m’affole tant je ne comprends plus rien et en désespoir de cause, je plonge mes yeux dans ceux de Jimmy, cherchant cette ancre que j’ai perdu un an et demi plus tôt. Mais je n’y retrouve plus aucun rire, plus rien de l’enfant avec lequel j’ai grandi. C’est un homme. Un homme dévasté qui se redresse et me dépasse. Il est debout, à présent, mais j’ai mal en me disant qu’il y a toujours une part de lui par terre qui réclame un pardon que je devrais être capable de lui donner. Je connais toutes les circonstances atténuantes et je sais qu’il n’aurait rien pu faire, quoi qu’il arrive. Mais je ne peux pas le regarder dans les yeux sans penser à Timmy, et je crois que c’est ce qui fait le plus mal.

Je sens ses mains sur mon visage qui tentent de sécher mes larmes et j’ai mal au ventre tant ça m’avait manqué. Les caresses attendries sur mes joues, digne d’un grand frère attentionné, un merveilleux ami. Ca faisait beaucoup trop longtemps.

Je lutte contre mes larmes, fais de mon mieux pour lui obéir. Je suis une horrible personne. Je m’en veux tellement de pleurer devant lui, comme je n’ai pas pleuré depuis longtemps. Il n’a pas besoin de voir ce spectacle désolant. Pire, de tous, il est celui qui devrait le moins avoir à subir ça. Il ne souffre pas seulement de la disparition de Timmy, lui. Il doit souffrir également de la culpabilité, du regard des autres, de l’horreur de l’avoir vu. La difficulté d’être la dernière personne à avoir été avec lui, de connaitre ses dernières paroles. Peut-être même de les avoir trouvées sans intérêt, sur le coup. A-t-il hurlé « Attention au chien ! » ou lui non plus, ne l’avait-il pas vu ? Avait-il parlé de moi ? Voulait-il répondre à mon message ? A-t-il souri en parlant de la réaction de Sadie quand ils allaient rentrer dans cet état d’ébriété avancé ?… Tout ce que je ne peux supposer, lui le sait. Et ça doit être dur à porter, le fardeau des derniers mots. Moi, je n’oublierai jamais la dernière chose qu’il m’ait dite… Un « Je t’aime » entouré de promesse de sagesse et de modération. C’est tellement bête, car nous savions tous les deux que la seule chose vraie était qu’il m’aimait. Et j’ai ris, parce que je ne jugeais pas ça important qu’il mente, je voulais qu’il s’amuse, et je lui faisais assez confiance pour le croire prudent. L’alcool fait des ravages, même chez les meilleurs. Mais toujours est-il que je ne devrais surtout pas pleurer devant Jimmy. C’est affreux, je suis affreuse de pleurer.

Je retire ses mains de mon visage. Pas trop vite pour ne pas qu’il imagine que je le repousse, mais pas trop lentement non plus, car il y a quelque chose qui me gêne et j’ai envie de m’excuser auprès de Timmy pour ça. Est-ce qu’un autre garçon a le droit de vous toucher, lorsque l’amour de votre vie s’en est allé ? Une part de moi dit « non » tout court. Une autre ne trouve pas ça gênant car elle ne considère pas Jimmy comme n’importe quel garçon. La dernière trouve ça déplacé car Jimmy n’est pas n’importe quel garçon. Je ne sais pas pourquoi une part de moi se dit que Timmy n’aurait pas aimé. Alors qu’elle a tort, Timmy ne s’en serait pas préoccupé, C’est Jimmy, quoi, allons. Jimmy ! Pas seulement celui qui conduisait. Son frère de cœur, son âme-sœur. Mais aucune part de moi n’a vu Jimmy sans Timmy, donc ça me perturbe. Je secoue la tête. Pour vider mon crâne de ces pensées, pour répondre à sa prière.

Je crois que mon regard se fait suppliant. J’ai besoin qu’il y croie. Si j'arrive à le convaincre, il parviendra à faire semblant avec moi. Pas vrai ?

Je baisse les yeux et me recule d’un pas, gênée par ses yeux que j'ai toujours trouvé si beaux et dont je devine la présence partout sur mon visage. Son regard me gêne car il m’avait manquée, mais qu'il n'est plus le même. Son regard a perdu la moitié de sa vie, quand on a perdu Timmy. Son regard est seul. A jamais…

Et moi non plus.

Dix-huit ans pour une vie. Dix-huit années pour naitre, grandir et vivre. Pas assez pour s'écorcher la peau, se fendre un peu le cœur et compter ses erreurs. Pas assez pour observer des rides emprunter les fantômes de tes rires, vieillir en songeant à la vie et tes plus belles réussites.
Dix-huit années Tim. C'est tout ce que la vie t'a donné, avant que je ne t'arrache toutes celles à venir.
Dix-huit années et chacune des miennes, qui jure de ne s'écouler que pour te voir continuer à exister.

Mes mains quittent son visage parce qu'elle le décide et ses mains me rappellent à ma peau, brûlante de se savoir capable de la toucher lorsque seul toi mérite ce droit. Le seul secret que mon âme a su cacher à la tienne m'arrache un frisson d'effroi, tant je peine à t'imaginer le croire vrai.
Je les ai noyer, Tim, les ai gardé dans l'ombre de tiens si longtemps que parfois, j'en venais à me croire capable de les détacher de moi, de tromper tout le monde jusqu'à moi en chantant qu'ils ne m'appartenaient pas, qu'ils n'étaient que l'écho des tiens.

« S’il te plait, ne fais pas ça, Jimmy. Vraiment, il faut que tu arrêtes de me demander « pardon »... Danse… Il revient, quand on danse, Jimmy. »

Mais rien. Je ne suis pas bon menteur, et voilà que déjà, ils me font trembler jusqu'à la moelle de la savoir en face de moi, trop belle, trop pure, bien trop elle pour ne pas les faire envoler et songer à milles futurs à ses côtés. Ils ne réclament qu'elle et se jurent prêts à tout les sacrifices pour l'avoir, se promettent capables de souiller ta mémoire pour obtenir ce dont jamais avant ils n'ont osé rêver.

« Je te le jure, il revient. »

Un sentiment de dégout secoue mes tripes lorsque je la vois s'éloigner, coupable de l'avoir un instant considéré comme pouvant un jour être mienne. Elle t'appartient toute entière Tim et mes sentiments m'écorchent de leur égoïsme, traitres de se croire enfin autorisés à exister, libres de s'exprimer puisque les tiens ne seront plus jamais portés par ta voix jusqu'à elle.

« Il faut que tu arrêtes de t'excuser à ceux à qui tu n'as rien fait. Je suis sûre qu'il n'aime pas ça. Il n'a jamais supporté que tu puisses avoir mal. »

Je la lâche du regard, fixe le sol, bousille ma nuque que je malmène de ma main. Elle dit vrai, et je ne m'en déteste que d'avantage de prétendre l'aimer après mes promesses de m'improviser pirates, pour vous marier.
Seuls tes sentiments méritent son âme, Timmy, es miens demeurent traites et malsains. Qu'ils se taisent, enfin.

« Il n'a surtout jamais supporté de te voir pleurer... »

Je pourrais en être mauvais, lui reprocher son âme un peu trop belle pour ne pas être aimer et aduler pour toute la perfection dont elle recèle. J'ai envie de me faire mal, et grogne un je ne sais quoi teinté de haine, tandis que mes yeux, eux, reviennent vers son visage qui déjà, semble me manquer. J'aimerais la voir me frapper, me cracher mes horreurs au visage et me haïr, me haïr d'oser l'aimer lorsque je me sais seul coupable des fissures de son cœur.

« Tu n'as pas besoin de danser pour lui, Callie... » je souffle un peu, fais taire mon cœur. « Tu n'as pas besoin de le faire revenir, parce qu'il est encore là. Aussi longtemps que tu te souviendras combien il t'aime, il sera là. »

Tu l'aimes, Tim, tu l'aimes. Et je passerai mes journées à le lui rappeler, pour qu'aucun de nous trois ne l'oublie jamais.

J'ai dans le coeur comme des musiques, tristes et terrifiantes. Des requiems fantômes qui entourent la mort et la célèbrent, la rendent réelle. Elles m'abîment alors que le rêve s'effrite, se transforme en cauchemar et que la lumière s'éteint sur mes illusions. Mon équilibre perdu, je vois Son visage, blanc, spectral, comme s'il disparaissait doucement. Transparent. Jimmy, je ne veux pas de la réalité...

Mais il n'est pas là pour me voir, pas vrai ? J'ai beau mentir dans mes danses, j'ai beau le vouloir dans mes étincelles, le rêver dans mes mélodies, le sentir dans chacun de mes pas... Aujourd'hui, je le sais, qu'il n'est pas là. Il ne peut le voir, le mal que l'on se fait parce qu'il ne peut plus nous consoler. Il ne voit pas la folie dans mes valses, les espoirs qui portent mes arabesques, les acrobaties de ma douleur. Et je ne peux pas supporter cette vérité. Jimmy, s'il te plait, dis-moi qu'il entend les chants qui s'élèvent pour lui lors de mes frénésies. Dis-moi que si aujourd'hui, je te vois sans lui, ce n'est pas parce qu'il est parti à jamais. Que nous n'aurons jamais à faire notre deuil de lui. S'il te plait. Dis-moi qu'il est en vie, que c'est lorsque je me sens submergée par la vérité que je me mens. Il grogne et je frissonne, avant qu'il ne reprenne :

Je veux le croire tellement fort que mes émotions me font l'effet d'un tourbillon. J'ai la tête qui tourne, rendue malade par le mal d'aimer. Mes jambes me portent par un miracle que je n'essaie même pas de m'expliquer et je décide de les soulager avant qu'elles ne prennent la décision pour moi. Je m'assois dans l'herbe, sens ses brins sous mes doigts alors que j'appuie mes mains contre la terre, comme pour y puiser la force que je ne sens plus. Je lève la tête vers Jimmy, il est encore plus grand, plus seul que jamais.

Ne me laisse pas seule en bas. Ne m'abandonne pas comme Il a été forcé de le faire. J'ai peur de me savoir seule dans un monde trop grand pour moi. Je ne peux pas demander à Garry de toujours veiller sur moi, je ne peux pas lui demander de m'accompagner, d'être dans chacun de mes pas. Mais toi, Jimmy, tu me dois bien ça. C'est égoïste et méchant, de penser ça. Mais tu ne peux pas me laisser seule, pas maintenant. J'ai peur du noir dans lequel tu m'as plongée, même si tu ne voulais pas le faire. Je lui ai demandé de ne pas s'excuser, je lui ai dit qu'il ne m'avait rien fait, mais assise sur ce sol froid, dans la clairière d'une enfance envolée, alors que le voile d'illusions que j'avais tissé s'est déchiré, cédant au souffle de sa culpabilité, je ne peux pas le nier, que si j'ai mal, c'est à cause de lui. Mais je sais aussi qu'il comprend cette douleur mieux que personne, et qu'il en est le seul remède, autant que j'aimerais être le sien. S'il est la moitié du coeur qui me manque tant, il saura parler au mien.

Je m'en veux de penser qu'il puisse me devoir quoi que ce soit, alors je ne lui demande rien, sinon de s'asseoir avec moi. Je n'ai pas à mettre en avant ma souffrance, comme cela. Je ne me sens pas le droit d'exiger quelque chose. Sadie, John, Garry... Ils ne demandent rien à personne, et pourtant, ils se sentent tous aussi seuls que moi, je le sais. Je suis mauvaise de laisser de telles pensées traverser mon esprit. Mais je ne suis pas taillée comme eux. Je me sais fragile, puisque tout le monde semble le croire.

J'ai besoin de danser, mais je ne me sens pas encore capable de me lever.

Je ferme les yeux. J'avais simplement besoin de prononcer son nom, le murmurer comme l'on fredonne une berceuse.

Je suppose que c'est mieux que le rien sur lequel j'essayais de flotter, portée par mes illusions. J'ouvre les yeux, il n'a pas bougé. Alors je répète :

Je lève la tête, cherche ses yeux.