Les jours sont si semblables. Le cercle de la vie est vicieux et lassant. J’aurais voulu que quelque chose de grand tombe en morceaux pour avoir autre chose à reconstruire que mon cœur. J’aimerais pouvoir toucher cet instant, celui où ma vie s’est cassée. Deux morceaux bien distincts, une coupure nette. L’existence sans Timmy, et celle presque absurde, impossible, où il était ma fierté, cette partie de moi qui irait toucher les étoiles. Je n’ose plus sortir de chez-moi, n’arrivant pas à gérer les questions qui m’assaillent à simplement poser mon regard sur l’infini du ciel. Y a-t-il un Dieu? Je n’ai plus de raison de prier, parce que personne n’a veillé sur mon fils. Qu’y a-t-il de vrai de ce paradis qu’ils nous présentent comme un monde duveteux où courent à moitié nu des bambins ailés. Le grotesque de l’image de donne la nausée. Timmy n’existe plus, Dieu n’a jamais existé et je maudis le ciel de continuer de briller. Arrachez-moi les yeux pour que cette lumière irradiante ne brule plus mes yeux restés dans le noir de la nuit où il a été tué. Qu’on me laisse mourir sur cette mare meurtrière de béton, que je me vide de mon sang la tête écrasée contre le sol, les étoiles me narguant du firmament. Que je le rejoigne, peu importe où il peut être. Nos cœurs se retrouveront, je lui en fais la promesse, seule idée qui me pousse à encore respirer. Une fois de plus, ordonnai-je à mes poumons. Une dernière fois, et je vous le promets, ce sera la fin. Je me mens, incapable d’assumer la vérité que Tim est bel et bien mort. Que plus jamais je ne verrai un sourire se dessiner sur ses lèvres. Que plus jamais il ne viendra se pencher pour m’embrasser sur la joue avant de sortir exister dans le monde.

Je soupire sous les rideaux de cette maison vide, comme mon cœur, mon corps. Je me lève pour aller vers cette porte qui me sépare de la vie. Le temps n’a pas d’importance, je n’existe pas en dehors ma peine. Ou si peu que ces quelques instants m’étourdissent, mon esprit incapable de les assimiler. Je sais qui entrera bientôt dans ma vie, dans ma mort. Elle est la plus rayonnante, déjà plus une enfant. Je me souviens d’elle, si jeune et si vive. J’aurais voulu encadrer la bonté de son cœur pour prouver au monde que ça existe encore. Elle n’a rien perdu avec les années, trouvant le temps de partager cette force qu’elle a en elle. Je ne doute pas une seconde qu’elle aimait Timmy , certes d’une manière différente, mais autant que moi. Elle a créé tant de beauté pour contrer un monde morne sans mon fils. J’admire ce qu’elle fait de ce pouvoir, n’ayant besoin d’aucune guidance pour être poussée vers le bien. Elle sera une héroïne de cœur, une fille du soleil, brillant par sa présence et sa lumière.

Je lui ouvre la porte, prenant bien soin de ne pas poser les yeux sur ce monde dont je ne veux plus. La vision de la pelouse devant la maison est insupportable. Timmy à quatre ans, qui courrait à la suite d’une coccinelle. Timmy à dix ans qui lançait un ballon à son père. Timmy à douze ans, qui grimpait dans un après à la suite de Jimmy. Timmy à seize ans, qui sortait l’épicerie de la voiture. Timmy à dix-huit ans, s’asseyant dans la voiture de Jimmy, pour partir rejoindre des amis . . .

Mon regard embué se pose sur Callie, son âme si belle que j’aurais voulue la voir aimer mon Timmy jusqu’à la fin des temps. Elle l’aurait eu son conte de fées, et pour une fois, la belle-mère n’aurais rien eu d’une sorcière. Elle est là, et j’essaie de parler mais les mots restent coincés. Je voudrais lui demander comment elle va, je voudrais qu’elle me raconte sa journée. Mais rien ne sort, sachant que je serais probablement incapable d’entendre la réponse à ces questions, incapable d’entendre des nouvelles de ce monde dont je refuse de faire partie.

Elle a l’odeur de la vie, celle du soleil sur sa peau, de l’air pur du dehors. Ses bras se referment sur moi, et je la serre comme ma propre enfant. Mes bras sont si frêles. C’est une étreinte entre la vie et la mort. Sa jeunesse qui a été troquée contre une réalité semble revenir à ses traits peu à peu. Elle s’en sortira, ma belle enfant. Je ne peux rien espérer de mieux pour elle. Son cœur serait un sacrilège à garder sous portes closes. Je ne sais plus espérer pour la Pandora qu’ils ont aimé, elle ne veut plus sortir de sa boîte, mais je peux encore souhaiter un avenir lumineux à celle qui aurait pu être ma fille. Vole jusqu’à ce demain qui t’es réservé, ne te retourne pas pour moi. Sa voix est un réveil, une douce effluve du monde que j’ai quitté.

- Sadie, tu manques au soleil, tu sais ?

Mes yeux se voilent. Je voudrais sentir la vie, voir le vent dans ses cheveux pour me dire que c’est encore possible. Non, j’ai la tête qui tourne à simplement me tenir devant la porte ouverte. Je fais entrer Callie à l’intérieur. Le soleil, je ne peux pas, tu sais . . .

Assise à la table, mes doigts sont crispés à m’en faire des échardes. Mes ongles ravagés sont cassés à en saigner. Mes mains sont nues, ne portant plus les ornements de ma vie. Mes bagues sont au fond de mon coffre à bijoux. Mon alliance, la bague de fiançailles de ma mère, celle qui m’a été offerte par la communauté des Héros pour mon service et celle que Timmy m’a offert l’an passé à la fête des mères. Elles sont vides de sens, des parures pour une femme ayant perdu sa beauté en même temps que son cœur. Je suis les lignes que le vieillissement et la peine ont creusées sur mes mains.

J’ouvre la bouche, le regard posé sur la place de Timmy, autour de cette table maintenant vide. Il y a les traces de sa fourchette, empreintes de son enthousiasme d’enfant à manger ce qui était préparé par amour par maman. J’en ai mal, si constant que je ne sais plus souffrir d’autre chose.

« J’ai vu la pluie, hier . . . »

Ma voix est enrouée, faute de ne plus savoir parler aux vivants. Oui, j’ai vu la pluie, le tonnerre et les larmes de son meurtrier. Tu ne sais pas, non, que je ne pourrai jamais oublier, jamais pardonner. La bonté de ton cœur te permet de vivre et d’aimer à nouveau, je le veux pour toi, cette vie si grande que je souhaitais pour mon fils. Tu as déjà commencé à guérir, et c’est le plus beau des cadeaux pour moi. Une des seules choses que je ne souhaite pas une illusion.

« Et j’ai vu Jimmy . . . »

Ça m’a échappé. Comme si mes pensées avaient pris le dessus. Je ne sais plus, si je deviens folle de haine et de peine, si l’ombre de Timmy n’est pas un signe qu’il m’a entendu et qu’il revient pour moi, pour venir me chercher. L’idée est douce-amère. La pluie, Jimmy, Callie, cette vie, sans mon Timmy.

Je ne suis pas vraiment là, au centre de mon obsession. Je ne sais plus vivre, alors laissez-moi mourir. Je ne veux pas revoir Jimmy ou même le soleil, je voudrais m’endormir, je suis si fatiguée, tu sais . . .