On dit de Liam qu’il est mort en héros sans préciser que crever dans une bagnole n’a rien d’héroïque. Mais ça emmerde, de se dire qu’un des meilleurs a perdu de sa superbe, alors on néglige les détails rapportant son agonie et la lente lutte qu’il aura menée pour me garder hors de lui. Ce que l’on conserve de Liam c’est l’injuste, l’amère, la dispensable, la terrifiante et si soudaine disparition qui l’a arraché au monde. On pleure et, se faisant mal, on fleurit sa tombe. Nous les voyons faire, agonisant sur l'impossible en refusant d'admettre qu'un retour à la vie est inespéré, puisqu'il est mort à la seconde même où il est né.

Mais on oublie de dire de moi que lorsque je parle, c’est du bordel que j’ai dans le crâne. On en a tous un, cette cave sombre dans laquelle on enchaine nos pensées torturées, nourrissant notre haine comme une chienne affamée, mais toujours en silence. On se tait, laissant quelques idées noires filtrer jusqu’à la décence à travers les fentes que le temps, le monde et les autres foutent dans nos murs. Parce que, quand on y pense, on s’effraie plus que n’importe quoi sur terre. On se sait capable de tout, rongeant et renforçant les liens qui nous scient les bras, qui nous taillent les veines et nous font regarder la mort en face. On possède tous ce carnage. Moi, je lui ai seulement donné un nom : le sien.

Son histoire vraie : L’anonymat, me dis-je, est une forme intense de virginité. La confusion régnant en chienne sur les premières fois ne laisse pas échapper celles que transcendent la célébrité. Certains y renoncent dans la douleur, tandis que d'autres en exulte. On peut la laisser trainer là, la perdant par bribes jusqu’à s’apercevoir un jour ne plus rien avoir à soi. Il arrive qu’on s’en débarrasse bien trop tôt, attiré par des prêchas menteurs qui vous mêlent à une foule d’illuminés, eux aussi ayant pénétré dans la lumière aveuglante du savoir-jouir.
Une fois que l’on y a renoncé, il nous est impossible de retourner à cette vie dans laquelle nous ne l’avons pas connu, celle défaite des complications liées à la misère des gens beaux, des gens forts, de ceux qui ayant tout perdu cherchent à se trouver encore. On l’abandonne à une part de soi demeurant toujours là, enfant teinté d’innocence. Il arrive alors qu’on regrette l’avoir cédé ou qu’à l’opposé, l’on embrasse cette nouvelle vérité. L’anonymat est une vierge de lumière dont on sous-estime la beauté. Tous vos héros, me dis-je, ont craqué à la reine pute du siècle, embrassant ses promesses de gloire, et d’immortalité toutes faites. Ils se rongeraient entre eux pour n’être vus que par ses yeux, louant ses prouesses sans espoir et une vie aussi courte qu’infâme. Tous nos maitres, pense-je, ont cédé à la reconnaissance populaire, une part importante de leurs âmes.