On dit de lui/d'elle qu'il est : Je suis le roc. La touche d’éternité. Ils ne disent pas grand-chose, parce que je ne traverse que rarement leurs pensées. Les gens sont la preuve de mon isolation. Ils ne savent que les morts, les disparus qui peuplent mon domaine. De mes mains, j’arrache à leur vie un joli visage. Une œuvre tranquille. Jamais leur lèvres ne prononcent mon prénom, parce qu’ils ne connaissent ni mes motivations, ni mon visage. Ils me connaissent aux crimes qui révoltent le monde. Aucun d’eux ne voit la beauté dans les traits figés à jamais. Une infinie jeunesse. Poupées de chair ne seront que statues dans le musée de ma vie. Spectatrices absolues de ma solitude. Pétrifiées dans leur dernier instant, lors de la pose finale. Ils ne disent plus un mot.
Mais on oublie souvent de dire : Mes fantaisies sont hors-limite. Sagement placées dans un jardin de givre. Gardiennes de mes interminables couloirs. Audience froide aux yeux fixes. Je suis le marionnettiste qui a trompé sa solitude pour une collection d’immortels pantins. Bienvenu au théâtre des horreurs. Mes victimes sont muettes. Transies d’un froid mortel. Ce sont les vivants qui crient d’effroi. Horrifiés par celui qu’ils n’ont jamais regardé.

Son histoire vraie : Le passé n’est jamais bien loin. Scintillant des lames des ignorants. Ils voient maintenant le monde à travers leurs iris glacés. Prisonniers de mon monde. Ceux qui s’attardent suivre ma trace ne trouveront que les reliques des disparus. Leurs yeux chercheront en vain les motifs d’un crime. Aucun parent n’a insufflé en moi cette cupidité. Cette morbide fascination pour l’immobile. Mon cœur de glace est le seul responsable. De glace ou de pierre, à l’image de mes compagnons. Statues éblouissantes alors que le blanc du ciel et du sol se reflète dans leurs yeux.

Mes pas sont souples. Ils me guident vers les rues achalandées. Je deviens le spectateur d’une vie que je déteste. Je deviens le spectateur d’une vie que je jalouse. De mes mains je prends ce qui m’étrangle et m’éblouis. Du bout des doigts je tire les ficelles de leurs émotions. Intrigués de mes silences. Leurs sens engourdis. Ils marchent vers la mort. Ma main caresse leur visage. Ma peau s’imbibe de la perfection humaine. Je lis dans leurs yeux la terreur puis le désir d’en mourir. Aucune hâte ne me pousse alors que j’exauce leur muette supplication. Je fixe les détails de mon œuvre. Artiste de l’éternité. Une mèche de cheveux qui tombe dans une parfaite imperfection. Le pli d’un manteau qui sera à jamais poussé par le vent. La touche délicate d’une main tendue vers l’horizon. La fusion de éphémère et de l’immuable. Une beauté qui ne fléchira jamais. Une âme prisonnière de mon éternité.

Au pied de l’hiver éternel se dresse mon domaine. Veillé par les gargouilles des crimes passés. Sonnent les cloches d’un futur que je voudrais immuable comme les glace. Le temps est coulé dans la solitude. Un visage hante les nuits glaciales de mon existence. Une égérie que j’ai sculptée dans la glace. Je possède son fantôme puisque mes mains ne se poseront jamais sur sa peau. Cette proximité de marbre sera notre seule chance à une alliance. Ces résonances du cœur ne toucheront pas à sa perfection. Le blanc du ciel sera témoin de ma promesse. Une exception contre la douce pétrification des masses. Additions à mon jardin de givre. Silhouettes contemplatrices de ma solitude.