« Viens jouer avec nous, Sonny. » me chantent deux merdeuses au bout de l’allée. Non merci, j’ai pas envie de crever. Je sais comment ça finit ces jeux-la. En morceaux. Pleins de morceaux. « Vous m’faites pas peur. » que je leur dis en clignant des yeux, parce que j’y pense. Elles doivent avoir huit ans. Elles se tiennent par la main. C’est flippant, c’est pas naturel d’être né en double. Elles sont clonées. Mêmes leurs vêtements sont identiques. Mais elles me font pas peur, non. « Ni toi ni l’autre. » la conviction commence à foutre le camp et ça s’entend. Alors je recule. C’est chiant les jumeaux. C’est comme voir une pub. Passer à autre chose. Puis retomber sur la même pub. C’est bon, on a compris le délire, laissez-nous tranquilles. J’achèterai pas vos conneries. De toute façon j’ai pas de carte, je fais buguer les machines. Et puis qu’est-ce qu’elles foutent toutes seules dans la rue, ces connasses ? Je crois que j’ai une phobie en plus. J’ai envie d’arracher les nœuds dans leurs cheveux. Probablement qu’elles les ont pas mis là elles-mêmes et qu’elles sont habillées par des parents qui aiment bien terroriser les gens. « Dis chérie, tu mettrais pas un p’tit kiki dans les cheveux de nos filles ? Moi j’en mettrais bien deux. Deux kikis. Comme ça si ça fait pas peur, au moins on est sûrs que personne les kidnappe ». Les gens sont tous des psychopathes.

J’ai lu le nom de la rue, sur un panneau. Alors j’ai fait semblant de rien. Jazz quoi, Jazz qui ? Non, j’ai pas vu. Pourquoi tout le monde s’est mis d’accord pour essayer de me faire peur ? D’ici ce soir, j’aurais quitté ma peau. J’aurai sauté en dehors de mon enveloppe rose et barbue, parce qu’un d’entre eux aura réussi. Ce soir est mon Halloween. Et puis comment elles connaissaient mon prénom les petites filles ? Ça y est. D’accord. C’est bon. J’ai peur. Mais pas grand-chose, juste un frisson, on dira que c’est de saison. Je devrais hurler dans la rue, pour voir qui ça fera se retourner. Mais j’ai pas envie qu’on m’enferme, alors je me tais et j’avance, bien calme, bien rangé comme tout le monde. Ça me fait chier, ça me gratte un peu. Comme tout le monde. J’aime pas l’idée.

Le théâtre. Il est grand, il est beau vu d’en dehors comme de dedans. C’est peut-être mon endroit préféré au monde. Y a rien qui m’en veuille là-dedans. Tous mes films, je les ai vus là, entendus de vives voix. J’ai pas besoin d’une télé pour m’évader. Pas besoin de la radio pour entendre quelqu’un chanter. En face de moi arrive une bonne femme en rogne. Putain, ça va encore être pour moi. Non merci, pas aujourd’hui. Je change de trottoir en essayant de pas me presser pour pas la vexer, mais elle ne remarque pas. J’ai juste couru un peu pour la peine. De toute façon j’ai de l’énergie en trop et chaque prétexte pour la dépenser est bon à prendre. Je devrais poser la main sur un gamin, voir si ça le rend hyperactif aussi. Mais j’en fais rien, je me contente juste de tracer mon chemin comme les autres.

Sauf que les autres regardent où ils vont, pas moi. Tout me distrait. Tout le temps. J’ai comme qu’ils diraient un petit déficit d’attention. Alors j’ai couru tout droit, mais pas vraiment. Les yeux rivés vers la femme que j’ai fuie comme un danger pour ma santé, une menace à mon corps et un ennemi à mes faux rêves. Sauf que. J’ai percuté quelqu’un doucement, enfin presque. Et déjà, je me prépare à encaisser une tempête. « Pard- » non. Non. Pas lui. Non. Je ne veux pas mourir, je l’avais pas vu. Non non. De toute façon « J’ai pas peur de vous. »