... Et puis la plus grande différence entre les civils et les héros, c'est surtout que les civils... Ils n'ont pas de pouvoirs.

Je fronce les sourcils, le nez collé sur ma feuille de note. Ce qui est embêtant, avec ce super-prof, c’est qu’il faut trier ses leçons, séparer le sérieux de ce qui est visiblement fait pour épater la galerie. Ça marche, ils rigolent, et ils en parleront toute la semaine des meilleurs coups du super-clown, leur professeur favori, parce qu’il est imprévisible. Ce que j’aimerais savoir, c’est la différence entre un héros et un vilain, les signes, les faits, les influences. Ça m’aiderait, à catégoriser l’impétueux Bam. Parce que sa violence et ses envies de gloire, je ne peux pas dire que ça fasse de lui un Héros. Pas selon moi, pas selon mes critères. Je raye l’évidence qu’il vient de verbaliser, trop contrariée pour en rire. Je ne comprends pas, ceux qui semblaient trop distraits pour prendre des notes, mais qui s’étouffent de rire sans avoir porté attention à ce qu’il dit. Est-ce parce que nous sommes assistants, qu’on ne doit pas apprendre à penser ? J’aimerais les givrer à leur siège, juste pour les voir essayer de se débattre, essayer de se débrouiller par eux même. J’inspire pour en recracher une buée si froide que l’étudiant en avant de moi en frissonne.

***

Je suis Morgan, alors qu’il sort de la classe. Je refuse de me fier à ce que disent les ragots, à sa réputation. Ce qu’a fait Super-Moi, ça s’appelle de l’abus de pouvoir, pouvoir de professeur et pouvoir de Héros, s’il en est vraiment un. Je suis dégoûtée des rires, ceux qui ont encouragés leur professeur adoré. Nous sommes en apprentissage, s’emporter, c’est normal. Il est supposé être l’exemple et il se donne en spectacle, il fait des étudiants ses cobayes. Morgan ne l’a pas mérité. Si l’insubordination devait être cause de punition, et bien enfermez-moi pour refuser ces idées fondues que vous voulez me faire croire. Je resterai givrée, coûte que coûte. Et Morgan restera Morgan, peu importe la classe, peu importe l’endroit. J’avale le givre qui se forme sur ma langue, furieuse de cette classe, furieuse de ce Forrest qui se croit tout permis juste parce qu’il peut faire tout, mais surtout n’importe quoi.

Je sens mes orteils se glacer et la glace se former sous mes ongles. Il a de grandes jambes le danseur. Une mince piste de givre sors de mon petit doigt, juste assez large pour mon pied, et je glisse jusqu’à Morgan, qui n’a probablement aucune intention de m’attendre.

« Ce qu’a fait Forrest, c’était loin d’être drôle, ça s'appelle de l'abus de pouvoir. Tu devrais te plaindre à la direction! »

Parfois, j’ai l’impression de me battre seule contre le monde, contre l’injustice, contre les préjugés, contre Bam et son attitude misogyne, contre ces héros qui se croient plus importants parce qu’ils seront célèbres un jour. J’aimerais que mon souffle glacé soit un vent de raison sur cette communauté, qu’on commence à penser, à réfléchir et à agir en conséquence. Dis-moi, Morgan, que tu ne laisseras pas l’injustice continuer. Chacun doit faire un pas vers demain, pour que le futur existe.

Je réalise alors que c’est probablement le moindre de ses soucis, et je sors de mon sac une bouteille d’eau. La fille glaçon se doit d’être bien hydratée, sinon j’ai bien peur que rien ne sorte du bout de ses doigts. Ce sont les lois de la physique, de la nature. Je tends la bouteille à Morgan.

« De l’eau ? . . . Tu préfères avec de la glace ? »

J’essaie un sourire, parce que je n’y peux rien, si la simple idée de glacer ma vie m’enchante. Prends la bouteille, Morgan, parce que c’est le moins que je puisse faire. Je suis glacée et je ferai neiger, si tu me promets de ne plus penser au goût de ce savon qui n’était pas mérité, fou de Forrest. Qu’il nous enseigne, au lieu de vouloir nous éduquer.

Putain quoi, me semble que le gout du savon et encore dans ma bouche.
Et comme pour exaucer mes pensées, je me permets de cracher dans le couloir de leur cher lycée.
J'avais pourtant bien dit que j'étais innocent, je comprends même pas pourquoi j'suis puni ?
J'oublie un détail du cours, vous croyez ? Non, même pas possible, je suis dans un rêve éveillé.
Et bordel, qu'est ce que je deviens taré.

« Ce qu’a fait Forrest, c’était loin d’être drôle, ça s'appelle de l'abus de pouvoir. Tu devrais te plaindre à la direction! »

Hey poupée, on se connait ?
J'esquisse un sourire, un moue parfaitement calculée. Putain, je suis trop beau pour être vrai.
Je devrai me plaindre à la direction ? Non, ça va être si bon de me plaindre à toi d'abord.
Le crime c'est quoi déjà ? L'arme ? Du savon, pauvre con.
Je suis pas à plaindre mine de rien, une douche gratuite et une jolie fille qui s'inquiète pour moi. C'est une très bonne journée qui commence !

« De l’eau ? . . . Tu préfères avec de la glace ? »

Ah mais ouais, ça y est j'y suis ! Il m'en faut du temps pour réaliser.
Sweety, chérie, tu serais pas déjà dans la ligne de mire de Bam ? Bordel, ça aussi ça frôle l'irréalité.
Tu seras à moi avant même qu'il ait pu jouer au hockey, c'est Coxy qui le dit !
Alors je fais semblant, mon sourire parfait se transforme en grimace dégoutée.
Ouais, merde, j'avais pas réalisé à quel point j'ai été humilié ... Je vais en faire des cauchemars tout le reste de l'année.
Avouez que je sais bien jouer ?
Et actiiiiiiiiiiiiiiiiiiion !

- De l'eau, oui, je pense que ça suffira ... Merci. Sexy Sweety.

Le rôle de la victime. Con, je suis trop bon.