Mes yeux lisent trop vite pour moi, j'en ai mal au cœur, mal à l'intérieur. Je suis à moitié ensevelie sous les livres et au rythme des mots mes doigts bougent pour apprendre à ne plus rien casser, ne plus rien faire exploser.

Je renvoie mes cheveux derrière mes oreilles, entortille dans le vouloir mon index dedans, je crois même que je m'en arrache quelques uns. Et c'est énervée que je continue mes exercices qui ne serviront pas à grand chose, parce qu'une catastrophe en reste toujours une, il me semble. Je vis dans un cauchemar permanent, et j'agrémente mes pensées de mots qui ressemblent et sonnent toujours pareil que l'expression J'aimerai.

Je suis fatiguée, malade, en colère. Je ferme dans un grand coup le livre qui se trouve devant moi. Ferme les yeux, revois les lignes et les expressions, je me sais en train de bouger les mains, j'imagine ce que je pourrai faire si mon don fonctionnait. Si j'y arrivais, si tout s'arrangeait.

J'incline le visage, visualise même l'objet que je suis en train de bouger dans mon esprit, je me sens puissante, sais que je pourrait le faire, si je n'allais pas plus vite que mes mouvements. Je respire lentement, j'essaie de canaliser tout ce qu'il peut se passer dans ma tête.

Et puis, puis je hoche la tête négativement, reviens dans la réalité. Ramasse tous les livres qui gisent devant moi, je les remets en place et je me retourne, je virevolte presque avant de m'entraver dans mes propres pieds. Je me raccroche à ce que je peux et ce que je peux, c'est Jesse, d'un sourire d'ange, je le remercie.

- T'es toujours au bon endroit au bon moment, tu le sais ?

Parce qu'il est mon meilleur ami, et qu'avec lui je me sens réellement en vie.

Mes mots se perdent, ma langue s'emmêle, j'aimerai pouvoir la tourner sept fois dans ma bouche mais je ne m'en sens pas capable. J'ai plus la force d’espérer, je ne sais plus pourquoi je suis tombée, rattrapée par lui j'ai oublié. Je me sens nouvellement moi, comme si toute l'amertume s'était enfui, comme si le monde s'apprêtait à reprendre sa route. Je n'ai plus aucun doute.

Et je relève le défi, celui tout con tout bête de la faire tourner ma langue, pour ne pas dire de connerie. En attente de ses mots à lui. Mon meilleur ami. Il sourit, rigole un peu, je ne m'en sens pas vexée, peut être que je devrais. Non jamais.

- Je pourrais te retourner le compliment. Je te cherchais justement.

Je arque les sourcils, sans comprendre pourquoi, pas que l'idée qu'il me chercher ne me plaise pas. J'ai envie de le prendre dans mes bras, le remercier, juste comme ça, de ne pas se sentir obligé de se tenir loin de moi. De ne pas avoir peur de la tempête Maxim. J'ai mal au ventre des fois, de me dire qu'un jour il partira, mais quand j'ai mal comme ça, je préfère penser qu'il sera toujours à mes côtés. Parce que la vérité est que moi, je serai toujours proche de lui, peu importe ce que l'avenir fera de moi.

- Dis moi ?

Dis moi pourquoi tu voulais me voir. Dis moi pourquoi moi. Dis moi comment un être comme toi peux perdre son temps avec quelqu'un comme moi. Rappelle moi pourquoi j'ai toujours en moi cette impression étrange que tu me connais mieux que moi je peux me connaitre. Explique moi pourquoi tu as besoin de moi, ici et maintenant, toujours et à jamais.

J'attends patiemment, ne me rendant même pas compte que j'en tortille mes doigts dans tous les sens, comme une enfant, réalisant à moitié que je risque une nouvelle fois de tout faire tomber. Je sais que je devrai m'arrêter, me dire que ce qu'il va me dire ne va pas changer la face du monde, peut être juste celle du mien, qui sait.

- J'ai vu quelqu'un en danger tout à l'heure. C'était encore vague mais elle était en danger !

J'esquisse un sourire, je crois, bête d'être juste moi. Bien sur qu'il changera la face du monde, il est fait pour cela, et sa vision, son don, c'est ce qui me prouve à quel point il est unique, comme une musique. J'ai la nausée, je me demande si je sais encore parler. S'il m'apprendra à faire des progrès là où les autres ont échoués, professeurs et autres délégués. Tu le sais, pas vrai, que j'ai peur un jour de perdre mon cœur. Dans un effort surhumain je stoppe mes doigts, sourire encore, n'est ce pas ? Et puis j'articule, d'une drôle de voix.

- C'est génial, je suis contente pour toi !

Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, je le sais, j'aurai voulu lui faire la morale, lui expliquer que voir des personnes en danger sans pouvoir les sauver c'est encore brouillon comme réalité. Est ce vraiment ce que je pensais ? Je ne sais plus, et puis je me demande si mon cerveau lui aussi, égal à mes doigts peut être embrouillé, si on me le demandais, je jurerai avec fermeté que oui, cela peut très bien arriver.

- Tu ne peux pas me mentir tu sais. Qu'est-ce qu'il y a ?

Je ne sais pas, ce serait drôle comme raison, tu crois ? Je me sens nue de savoir qu'il lie en moi, j'ai froid de me dire que cette nudité n'existe qu'en moi. Je perds la tête, le nord, le sud et l'ouest. Je hoche le visage pas décidée, je ne saurai même pas quoi répondre à cette phrase, cette question trop vite prononcée. J'ai le mal de moi, comme d'autre ont le mal du pays, moi, j'ai le mal de ma vie. Du prochain ouragan, de la prochaine tempête, de me dire que si un jour la Terre se remet à trembler se sera peut être à cause de mes pieds.

- Je vais bien, idiot, que je m'entends prononcé, j'en suis presque étonnée, je crois juste que j'ai faim.

Oui, voilà ça vient de là. J'ai faim du monde, de la vie, j'ai faim de cet instant où j'arriverai à marcher sans tomber. A lire sans perdre le fil de mes phrases et a modifier les objets comme personne d'autre ne le ferait. J'ai faim de moi, j'ai faim de tout, je crois. J'ai faim d'absolument tout ce qui peut s'offrir à moi, et je me délecte de me dire que c'est lui qui provoque cela en moi.