Je ne sais pas réellement où aller. Je cherche un regard, un indice quelque chose qui me prouvera que j'ai eu raison, de venir ici. De tourner à droite plutôt qu'à gauche. D'avoir laissé ma guitare dans ma chambre, alors que je crevais d'envie de l'avoir avec moi, dans son sac, la sentir claquer sur mon dos, lorsque mes pieds avancent. Mais non, aujourd'hui non, et j'aurai du. Bon sang, j'aurai du je le savais.

D'habitude, pourtant, je ne sors jamais sans elle. Et je me demande bien pourquoi aujourd'hui j'ai fais ça. Je secoue le visage, et ne vois pas, ne comprends pas. Bon d'accord, on s'en fiche, n'est ce pas ? Je soupire lorsque je passe dans l'allée des souvenirs, regarde ses affiches, pense à tous ces gens, ceux qui ont vu les concerts et les exploits que moi je ne verrai jamais.

Et puis, là, devant moi, se dresse mon père sur une affiche que je n'avais jamais vu. J'en ai le cafard, la boule au ventre, la vie accrocher suspendue quelque part entre ici et là. Alors je respire au moment je sors de la rue en courant, je ne veux plus voir, ne plus espérer. Mon père, ma mère, jamais. Loin très, loin, de cette rue, je ne sais plus ce que je voulais faire.

J'inspire lentement, et avance vers le marché pour voir autre chose, d'autres gens, d'autres pensées. Je ne sais pas, elle est où ma guitare ? Je regarde les gens, cherche une tête que je connais, mais je sais, je sais que j'espère quelque chose qui n'arrivera pas. Et si pour une fois ça arrivait ? Je veux dire, c'est pas comme si je demandais beaucoup de chose, alors aujourd'hui, j'y ai droit, n'est ce pas ?

J'aperçois alors, les yeux verts que je reconnaitre entre des milliers, celle qui sait me faire rire, et qui a le pouvoir de me faire pleurer. La seconde femme de ma vie, ma meilleure amie. Je marche alors plus rapidement, pour la rattraper, parce que je n'ai compris qu'au moment où je l'ai vu que c'est à elle que je voulais parler. Que c'est elle qui va me délivrer de cette photo abimée.

- Si tu inventes un panier extra-ordinaire, j'achèterai n'importe quoi ici. je lance d'une voix plutôt joyeuse, j'efface mes peines au moment même où elle voit que c'est moi qui viens de lui parler. Bon sang, ma Lilith adorée.

Je me rend compte lorsqu'il sourit que le froid de l'hiver mord légèrement ses joues pour les rosir joliment. Ca m'inspire plus que cela ne le devrait, lorsque j'imagine leur fraicheur sous mes lèvres, le temps d'un baiser que je pourrais lui voler. Je flotte lorsqu'il me prend le bras et je suis soulagée de pouvoir m'appuyer sur lui, comme s'il m'aidait à porter le poids de mes douleurs. De ma douleur, plutôt, car elle s'écrit au singulier depuis que je suis seule, sans ma jumelle, ma Sephie, mon autre. Un peu plus légère, je me surprends à fermer les yeux pour apprécier l'effet apaisant qu'il a sur moi. Son coeur est une mélodie que j'entends sans le sentir. Il transcende mes sens et je vois, là, tout au loin, une idée, une intuition d'un quelque chose. Mais vague, malheureusement, car il n'est pas Sephie, il est un autre. Cher à mon âme, mais pas tout à fait une part d'elle.

Je n'aime pas son ton, je n'aime pas ce qu'il dit. Le regret que je sens dans sa phrase me brise le coeur. Je secoue la tête, refuse d'entrer dans ce sujet-là. Je rejette même un peu l'idée du panier extraordinaire. Les gens n'ont pas besoin d'avoir plus de possessions, ils n'ont pas besoin de se cacher derrière une montagne d'avoirs, d'être poussés à la consommation, d'avoir assez de place pour mieux dépenser, mieux s'ignorer. Ils ont besoin d'apprendre à s'aimer et aucun panier, aucune des choses vendues dans ce marché, ne peut le leur apporter cet enseignement.

Je lève alors imperceptiblement les yeux au ciel. C'est hypocrite, ce que je dis là. Nos inventions améliorent la vie des gens, mais ne leur apportent rien de concret. Il faut que je l'invente, ce panier. Il est pratique, il aidera à leur confort. Tant que je ne serais pas capable d'inventer quelque chose quileur ouvrira les yeux sur le monde qui les entoure, tant que je ne saurai pas comment effacer la misère, le malheur... Je dois leur offrir tout ce que je peux leur donner.

Je regarde à nouveau Jared, hausse les épaules en repensant à sa phrase.

J'inspire à fond l'air frais, fais le plein de fragrance. Je me demande combien de personne le fait, si je suis la seule. Si Sephora l'a fait en même temps que moi, si elle est occupée. Combien de personne ont arrêté de se presser pour respirer le parfum de l'hiver ? Combien s'arrêteraient pour le faire, si Jared chantait ?